Réacteur à Précipitation de Phosphate sur substrat calcaire


 Dans nos bacs récifaux, une des préoccupations majeures dictant nos choix concernant la population de l’aquarium et les stratégies à mettre en œuvre pour offrir une qualité d’eau adaptée à nos pensionnaires, se traduit notamment par un bilan d’accumulation,  ou non accumulation, d’azote et de phosphore.
  L’objectif est relativement simple à exprimer de façon simplifiée : maintenir des taux stables de nitrates et de phosphates relativement faibles, voire pour certains animaux (ou certains aquariophiles !), à la limite du mesurable.

Dans mes différentes installations, comme dans beaucoup d’autres, si éviter une accumulation de nitrates se révèle relativement facile, il en va tout autrement concernant les phosphates. Cela pourrait s’expliquer, entre autres, par le fait qu’à l’échelle de notre planète, les 2 cycles fonctionnent selon des mécanismes très différents :

– Sans entrer dans les détails, le cycle de l’azote est pris en charge par l’activité bactérienne. Il  termine sa course sous forme d’échanges gazeux via l’interface eau/air, et est donc parfaitement reproductible en aquarium, puisque nous disposons de cette interface eau/air pour le bon achèvement de ce cycle.

– Le cycle du phosphore est lui très différent. En effet, même si une partie du phosphore est métabolisée (tout comme l’azote) par les organismes vivants, une autre partie finie stockée au fond des mers sous forme de sédiments, qui ne seront utilisés que beaucoup plus tard sur la terre ferme (par les végétaux), amenés là par les mouvements tectoniques de la croute terrestre ! D’autres mécanismes existent comme par exemple la pêche, ce ci rapatriant sur la terre par d’autres voies le phosphore contenu dans les animaux prélevés.

Partant de là, il apparait que la gestion des phosphates dans nos aquariums peut se révéler beaucoup plus compliquée. Preuve en est, si besoin était de le prouver, l’utilisation très fréquente de résines absorbant les phosphates, de floculant ou de réacteur à bactéries, systèmes destinés d’une façon ou d’une autre, à exporter les phosphates sous forme solides.
Une autre solution souvent mise en œuvre, consiste à utiliser de l’eau de chaux. En effet, en plus de de ses propriétés pour la supplémentation d’un aquarium, cette dernière a pour réputation de favoriser la précipitation des phosphates.

Un Réacteur A Précipitation de Phosphate sur substrat calcaire, pourquoi ?

Les solutions abordées précédemment offrent certes l’avantage d’aider à la maitrise des phosphates dans nos bacs, mais présentent toutes des inconvénients que je voulais éviter dans mon projet :

Les résines (très efficaces au demeurant), présentent l’inconvénient de risquer d’incommoder directement les habitants de l’aquarium et de générer d’autres pollutions, sous forme solide (érosion des résines) ou ionique (augmentation notamment de la teneur en certains métaux dissouts dans l’eau).

Les RAB (réacteur à bactéries), ou même le simple dopage de la flore bactérienne présente dans l’aquarium par apport de source de carbone, demandent un suivi très rigoureux des dosages et engendrent des effets secondaires non négligeables de mon point de vue. En effet, Le type de bactéries favorisées n’est pas maitrisé et la consommation en oxygène du bac est augmentée, tout comme la production de Co2, ce qui dans un bac très peuplé peut poser problème.

Pour l’eau de chaux se pose la question du devenir des phosphates précipités : comment en maitriser les précipitations? Comment éviter ou limiter leur accumulation dans l’aquarium ? Comment éviter leur dissolution ultérieure ?
De plus, la mise en œuvre optimale de l’eau de chaux peut paraitre simple de prime abord, mais dans la pratique il en est tout autrement sans expérience et quelques précautions.
L’objectif du réacteur à précipitation des phosphates sur substrat calcaire est donc d’essayer d’offrir les avantages des solutions ci-dessous mais en tentant d’en limiter les inconvénients majeurs.

Réacteur A Précipitation de Phosphate sur substrat calcaire, comment ?

L’idée est à la fois très simple à imaginer « intuitivement », mais très compliquée à expliquer. Je serais d’ailleurs incapable d’en démontrer de façon indiscutable le fonctionnement supposé. Le principe repose sur le traitement des phosphates par précipitation (ou cristallisation) de ces derniers, sur un substrat calcaire jouant le rôle de catalyseur :

1/  en entretenant  des conditions propices à cette précipitation via l’usage de l’eau de chaux.

2/ en favorisant le siège de ces précipitations dans un endroit dédié et non dans tout l’aquarium : un support calcaire situé dans la partie technique de l’installation.

Le raisonnement m’ayant amené à imaginer ce principe repose sur des observations simples.

Pour commencer, l’eau de chaux est connue pour cette propriété à précipiter (entre autre) les phosphates dans nos aquariums, propriété d’ailleurs déjà exploitée dans des systèmes de retraitement des eaux (comme un floculant, contre certains métaux). De plus, et c’est là une autre bonne raison à mon avis pour baser le système sur l’utilisation d’eau de chaux, il n’y a pas que des phosphates qui précipiteront, mais d’autres éléments indésirables comme des métaux lourds qui co précipiteront également dans la réaction.

C’est d’ailleurs pour cette deuxième raison que j’ai décidé de réinstaller un RAH sur mon bac principal.  Ainsi, à condition de ne pas ou peu générer ces précipitations dans l’aquarium même, l’objectif n’est pas uniquement de traiter les phosphates, mais d’être également en mesure d’éviter ou limiter la pollution de l’eau par certains éléments sus cités. Cela peut être un gros avantage quand on sait que de nombreux métaux sont en proportions bien trop importante dans les sels synthétiques (manque de pureté), et que presque tout ce que nous introduisons dans l’aquarium tend à en ajouter encore (nourriture, supplémentation, particules polluantes dans l’air …).

Concernant le substrat calcaire, certains savent également que ce dernier peut, dans certains cas,  favoriser voir déclencher une précipitation.

On parle aussi de catalyseur de la réaction. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est fortement déconseillé de préparer de l’eau de mer synthétique en mélangeant sels et eau dans une cuve contenant déjà du sable calcaire. De même, nous avons déjà constaté que l’ajout de sable calcaire inerte dans une cuve causait bien souvent, dans un premier temps, une chute de l’alcalinité et du taux de calcium (pour ne parler que de ces deux-là). Partant de là, il apparait donc logique d’envisager entre autre une co précipitation de phosphates.

D’un point de vue théorique, j’invite ceux qui voudraient approfondir le sujet à se documenter sur la cristallisation des phosphates sur substrat. Une tentative de démonstration du fonctionnement du système que j’ai imaginé demandant en effet des compétences en génie chimique et des moyens que je n’ai absolument pas. De mon côté, et afin d’apporter des éléments de réponse à l’écriture de cet article, j’ai entre autres trouver dans mes recherches, cette thèse de Fréderic Cabanes qui me semble très à propos : « Déphosphatation des effluents : précipitation et valorisation du phosphore »

En plus de descriptions de fonctionnement qui m’ont parues très proches de mon réacteur, J’y ai également apprécié cette citation de Sénèque :

« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles »

La pratique :

Concrètement, il est donc question d’introduire de l’eau de chaux saturée, avec pour objectif une légère hausse du PH et une augmentation de la saturation de l’eau, en amont d’un substrat calcaire destiné à favoriser à sa surface une légère précipitation des phosphates présents dans l’eau, probablement sous forme de  phosphate de calcium ou de phosphate de magnésium. Le système imaginé à la base était le suivant :
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Le réacteur en question est donc simplement un mélangeur, dans lequel on ajoute une grille en plastique destinée à créer un support de précipitation. Pour que cela fonctionne, il faudrait commencer par déposer une couche calcaire sur la grille. Pour créer ce dépôt, il suffirait de placer cette dernière dans un récipient rempli d’eau de mer, voir le mélangeur même, et d’y ajouter manuellement une quantité d’eau de chaux suffisante pour déclencher une franche précipitation, tout en mélangeant avec une baguette. Apres avoir laissé reposer quelques heures, le dépôt serait prêt à jouer son rôle de catalyseur. La suite est simple, l’ensemble serait placé dans la zone technique du bac, une pompe alimenterait le réacteur en eau et un automatisme commanderait des ajouts réguliers d’eau de chaux dans ce dernier. Les leviers de réglages seraient le débit de la pompe associé à la  quantité d’eau de chaux ajouté, avec des ajustements possibles sur la quantité d’eau de chaux ajouté par injection. Sur mon installation, j’ai pu tester le principe plus simplement, avec une fine couche de sable placée dans une zone de décantation de ma cuve technique :

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Pour les ajustements possibles, le plus simple dans ce cas est de jouer sur la surface d’échange de sable. Pour cela, disposer le sable dans des petites caissettes permettrait un ajustement très simple de l’efficacité du système. Concernant les injections d’eau de chaux, ces dernières sont réalisées uniquement hors période d’éclairage de l’aquarium, aidant ainsi à limiter la baisse nocturne du PH. De plus, l’idée reste de générer des petites précipitations à la surface du sable, en aucun cas il n’est question de précipitations importantes et visibles par un trouble de l’eau. Il n’est donc évidemment pas question d’injecter l’eau de chaux au moment ou le PH de l’aquarium est haut, comme c’est le cas en période d’éclairage avec la photosynthèse des animaux hébergés. Le système utilisé pour cela est relativement simple, et consiste en une automatisation basée sur un programmateur et un petit automatisme à temporisation et relais (un automate pouvant bien entendu rendre les mêmes services). Ce système déclenche des injections goutte à goutte (pompe de 3 l/h) sur commande du programmateur, pour une durée programmée dans ce dernier. Après injection, il déclenche l’agitateur pour un mélange énergique de l’hydroxyde de calcium et de l’eau, préparant ainsi une eau de chaux saturée qui sera injectée plus tard, après un temps nécessaire à la décantation de l’hydroxyde. Le cycle est donc le suivant :

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Ce cycle se répète ainsi 10 fois par nuit, injectant 6 l d’eau de chaux dans mon installation de 1100 l. En aucun cas l’agitateur ne fonctionne en même temps que la pompe alimentant le RAH et bien évidement, le volume total d’eau de chaux ajouté devra rester dans tous les cas inférieur à l’évaporation d’eau quotidienne de l’installation. Cet apport d’eau de chaux participe donc également à la supplémentation calcique de l’aquarium, la quantité de précipitations escomptée restant très faible. Les injections durent 16 mn, ce qui est suffisant pour faire monter le PH dans le décanteur d’environ 0.2 PH, le PH redescendant ensuite par dilution avec l’eau le traversant.

La surface du lit de sable utilisée couvrait environ 60 cm x 30 cm, pour une épaisseur d’à peine 1 cm. le débit d’eau de passage dans la cuve de décantation étant de 2400 l/h environ.

Le test a commencé après 2 mois d’utilisation du RAH sans lit de sable. Les phosphates étaient alors en phase légèrement montante, notamment avec l’arrivée de nouveaux poissons, mesurés à 0.05 mg/l au début du test.

Le résultat ne s’est pas fait attendre, seulement une semaine après ajout du sable, les phosphates étaient devenues non mesurables au photomètre Hanna. Surpris de cette baisse rapide (je n’avais en effet jamais vu les phosphates baisser aussi rapidement dans mes aquariums), j’ai renouvelé la mesure par la suite, et fait des comparaisons avec un test colorimétrique modifié, mais rien de détectable. J’ai laissé le système en place la semaine suivante puis certains des coraux ont commencés à être moins épanouis alors que jusque-là les couleurs s’intensifiaient. Par la suite, certains ont perdu des couleurs notamment un Acropora formosa vert et un Acropora nana dont toute la coloration violette disparaissait pour laisser place à une couleur beige clair. J’ai donc décidé d’arrêter là l’expérience et j’ai retiré le sable mis en place, pensant avoir atteint un taux de phosphate dangereusement bas pour mes coraux.

Cela m’était déjà arrivé précédemment avec une utilisation trop importante de résines anti phosphate, et les symptômes constatés me rappelaient beaucoup cette expérience. Sur les 4 semaines suivantes, les coraux reprirent des couleurs, aidés entre autre par des nourrissages importants la nuit et un changement d’eau. Parallèlement, le taux de phosphate peine à remonter malgré le retrait du lit de sable. Actuellement donc, le bac n’a besoin d’aucun artifice pour contenir les phosphates, mais il y a fort à parier que ces derniers reviendront à nouveau à des niveaux que je tenterai de contenir, comme je le fais depuis des années. Le moment venu donc, je retenterai l’expérience, mais avec une surface de sable cette fois ci beaucoup plus faible.

Grégory Lagarrigue pour Monboutderecif

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